De la phénoménologie à la figurologie

  • Michel Guérin Aix-Marseille Université (AMU). Centre d’Aix Faculté des arts, lettres, langues et sciences humaines LESA (Laboratoire d’Études en Sciences des Arts)

Résumé

L’idea platonicienne amorce, selon Heidegger, le tournant représentationnel de la vérité : celle-ci, pour apparaître, a besoin d’un milieu transparent dans et par lequel, tout en s’assurant contre l’illusion, elle se montre adéquate à l’essence. Ce mi-lieu, qui instaure une di-stance permettant le regard, est à la fois un médiateur et un intercesseur.
Aristote thématise pareil metaxu (tertium quid) à travers la catégorie énigmatique du diaphane. À partir de Kant et de sa distinction entre les phénomènes et les noumènes, le milieu esthético-symbolique instaurateur d’une évidence sensible étayée par les catégories découvre dans le temps l’agent qui remplira désormais
la fonction du diaphane. L’évidence phénoménologique est ainsi tributaire de la transparence sous les auspices du temps.

Or, ce cadre de pensée séculaire s’est brisé dans la seconde moitié du XXe siècle. Les piliers sur lesquels reposait l’édifice se sont effondrés : la déconstruction du sujet, la mise en question radicale de l’objectité (qu’est-ce qu’un «objet» à l’ère numérique ?), l’irruption du «temps réel» (électronique) — voilà quelques aspects corollaires des tendances, aussi puissantes qu’anonymes, qui ont contribué à ruiner le mode de pensée phénoménologique, fondé sur un sujet constituant (tramé de temps) et l’idéal de l’évidence garantie elle-même par une stabilité objective, soit l’assurance d’une similitude entre le phénomène et l’être. La fin des phénomènes marque le terme d’un mode de pensée analogique.

L’idée de figurologie promeut une autre notion du paraître. La transparence n’est plus le milieu propice à l’émergence de vérités bien découplées. Alors que l’apparaître du phénoménologue se modèle sur des réalités aux contours nets (des « entiers » esthético-noétiques), la Figure silhouette une transparence ombreuse indexée sur le réel comme ce qui esquive la représentation. C’est une fiction qui rompt avec la ressemblance.

Publiée
2022-07-25